A Voinsles, en Seine-et-Marne, il faut deux voitures et un congélateur ...

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"Je suis donc le Maire de la commune de Voinsles depuis 2008. Oui c’est bien ça : Voinsles ; le nom interpelle toujours et surprend parfois. Voinsles cela s’écrit v-o-i-n-s-l-e-s. Ma commune est située en plein centre de la Seine et Marne, en pleine Brie, sur l’axe RN4 à 60km de Paris."

Ainsi commence le très beau texte d'Olivier Husson, le maire de ce village d'à peine plus de 600 habitants. Un texte qui en dit long sur la vie dans cette France périphérique dont on parle tant ces derniers jours. Et qui donne des clés pour comprendre ce qui se passe en ce moment. Olivier l'a partagé avec nous lors de notre Fête de la Rose samedi dernier. A mon tour, je souhaite le partager avec vous.

"Je suis donc le Maire de la commune de Voinsles depuis 2008. Oui c’est bien ça : Voinsles ; le nom interpelle toujours et surprend parfois. Voinsles cela s’écrit v-o-i-n-s-l-e-s. Ma commune est située en plein centre de la Seine et Marne, en pleine Brie, sur l’axe RN4 à 60km de Paris. 

Voinsles, ce sont des bois, des champs surtout, un village, deux hameaux et des fermes isolées répartis sur environ 30 km carrés ; Voinsles c’est aussi 20 km de voirie communale, 18 km de canalisation de distribution d’eau potable, deux cimetières, deux églises, deux châteaux d’eau, une salle de fête construite de la main des habitants il y a 60 ans, quelques équipements sportifs dont deux courts de tennis, un city stade et un terrain de football non homologué. C’est aussi et depuis peu un verger public, un gîte communal, une cabine téléphonique transformée en micro-bibliothèque ; c’est aussi 1 école qui fonctionne en syndicat avec la commune voisine et qui accueille une centaine d’élève et bien entendu une Mairie qui rayonne au centre du village.

Voinsles justement c’est aussi et surtout une population de 614 habitants. Les vincelais sont plutôt majoritairement des jeunes couples avec enfants qui travaillent dans l’ouest du département, en proche banlieue parisienne ou à Paris. Ces nouveaux arrivants sont attirés d’une part par le prix de l’immobilier et d’autre part par la beauté et le calme de la campagne briarde.

A Voinsles, un boulanger ambulant passe tous les matins dans le village mais il n’y a pas d’autre commerce. Ni boulangerie, ni épicerie, ni boutique multi-service, ni aucune autre boutique, ni médecin. Une grande surface est implantée à 5 km de là c'est-à-dire à moins de 10 mn ... en voiture.  Vous imaginez bien qu’il n’y a pas non plus de théâtre, de cinéma, etc…

A Voinsles nous bénéficions depuis ce mois de juin 2018 d’un transport à la demande, service communautaire qui permet de circuler à l’intérieur de la communauté de communes du Val briard les jours de semaine aux heures de bureau. Les transports scolaires fonctionnent bien de la maternelle jusqu’aux collège et Lycée situés à 5km ; même si avec la fin de leur gratuité, ils sont devenus hors de prix pour les familles nombreuses : Dans le cas d’une famille de 3 enfants dont 2 sont au lycée et 1 au collège, le coût annuel pour cette famille est de 800.00 euros !!! L’année où ces transports sont devenus payants, quatre familles sont venus m’expliquer que cette année, ils ne partiront pas en vacances pour financer les transports….  Aucun autre mode de transport alternatif n’existe à Voinsles : ni lignes régulières de bus, ni autolib, ni velolib, ni tramway, ni RER, ni métro, ni ligne de transport fluvial …. Comment ? et non, non plus, pas de vaporetto à Voinsles.

Comment vous dire, … lorsque je reçois de nouveaux habitants en mairie pour leur faire une présentation de la commune, j’ai pour habitude de leur dire deux choses :

La première, c’est que dans un village comme le nôtre, il n’y pas de mystère si l’on veut un nouveau service il faut devenir acteur et ne plus être spectateur. Oui, chez nous si l’on souhaite pratiquer une activité de loisir sans avoir à prendre la voiture alors, il faut la créer soit même ; certes avec l’appui et le soutien de l’équipe municipale vincelaise mais soit même quand même !

La seconde c’est que je suis très heureux d’accueillir de nouveaux habitants qui pourront profiter de nos paysages et de notre cadre bucolique mais qui chez nous pour que tout se passe bien pour eux doivent impérativement s’équiper de deux voitures d’un congélateur.

En effet à Voinsles aujourd’hui et sans voiture : impossible de faire ses courses ; impossible de se rendre à son travail ; impossible de se rendre chez le médecin et encore moins à l’hôpital ; Sans voiture impossible de se rendre au cinéma, au théâtre, d’admirer une exposition, de visiter un site remarquable.  Et dans un contexte de fermeture des services publics locaux comme la poste, les hôpitaux ou les tribunaux, la raréfaction des médecins généralistes, le nombre de kilomètres à parcourir pour accéder à ces services est de plus en plus importants. Dans le même temps, les routes nationales sont mal entretenues, la vitesse est réduite à 80 km/h et les radars se mettent à crépiter… les impôts nationaux ou locaux malgré les effets d’annonces ne baissent globalement pas. On comprend mieux ainsi le phénomène des gilets jaunes. Leurs soutiens sont très nombreux à Voinsles : des employés ou des artisans pour qui la voiture est indispensable et pour qui le prix du carburant est devenu aussi important que l’était le prix du pain en 1789.

Mais la situation est encore plus difficile pour les adolescents et les jeunes adultes habitants avec leurs parents à Voinsles. Car en grandissant, nos enfants ont d’énormes besoins de mobilité.  Comment suivre les enseignements d’un CFA situé à 50 km lorsque l’on n’est pas titulaire du permis de conduire, que l’on n’a pas les moyens d’acquérir une voiture sans permis et que les places en internat sont comptées quand elles existent ? Comment se rendre chez son maître d’apprentissage situé à 20 km sans se mettre en danger gravement quand on a 14 ans ? Car nos jeunes aujourd’hui parcours ces 20 km en mobylette y compris à 6 :00 parfois 5 :00 du matin par temps de brouillard, de pluie ou de verglas. Alors l’âge de conduite des véhicules sans permis a été abaissé à 14 ans et c’est une bonne chose mais comment financer l’achat de cette voiture qui même d’occasion ne coûte pas moins de 6 500.00 euros ? Nos jeunes aujourd’hui s’ils n’ont pas une famille ayant de l’argent doivent non seulement financer le permis de conduire mais aussi la voiture et leur premier logement. Faisons le calcul ensemble : Permis de conduire : 1 500.00 euros / Voiture d’occasion : 4 500.00 euros / studio dans les zones où l’on trouve du travail : loyer 600.00 euros + depôt de garantie 600.00 euros + une avance sur les charges : 300.00 euros + ameublement – oui une machine à laver, un lit …tout cela est indispensable pour s’installer -  1 000.00 euros : soit un total pour se loger de 2 500.00 euros ; Et un total global de 8 500.00 euros juste pour démarrer dans la vie !

Je vous le demande : toutes les familles sont-elles capables d’apporter cette aide indispensable à leurs enfants ?  N’y-a-t-il pas là une grande injustice sociale entre celui qui aura l’aide nécessaire lui permettant de poursuivre ses études ou de trouver un travail et celui qui restera en déshérence parce qu’il n’a pas les moyens de faire autrement ???   Alors vous me direz : oui mais les jeunes peuvent travailler l’été et auto financer une partie de ces dépenses ; c’est vrai et cela a le mérite de leur faire connaître le monde du travail. Je suis passé par là et nous sommes nombreux à l’avoir fait ; j’ai travaillé pour financer mes études et mon permis mais dans ce temps-là les postes de surveillants de collège étaient réservés aux étudiants et la législation du travail était assez souple lorsqu’il s’agissait d’employer des mineurs l’été. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et le nombre d’entreprise prêtes à employer des mineurs a fondu comme neige au soleil.

Et nous le voyons bien dans nos territoires si des communes comme Provins, Bray sur seine, Donnemarie-Dontilly, Nangis ou encore La Ferté sous Jouarre ont des taux de chômage voisins de 9 % de la population active, le taux de chômage des – de 25 ans dans ces communes avoisine 23% !   Soit presque un jeune sur quatre sans emploi !  Et oui, Chez nous quand un jeune traverse la rue, il tombe sur un champ ; pas sur une offre d’emploi !!!

Voilà la plus grande des injustices vécues par une grande partie de nos habitants : ils souffrent de ne pas pouvoir offrir un avenir meilleur à leurs enfants et ils voient bien que l’Etat ne les aide pas pour cela ; au contraire même ! Et c’est bien ce sentiment d’abandon et cette injustice que nous devons réparer en priorité parce que c’est dans nos gènes de parents ; parce que c’est dans nos gènes de socialistes ! 

J’ai défendu pendant la campagne des législatives de 2017 l’idée d’un apprentissage de la conduite automobile à la charge de la solidarité nationale ; je suis davantage enthousiaste à l’idée émise par le Président Hollande d’un capital en euros alloué à nos jeunes dont l’utilisation serait contrôlée et qui pourrait servir exclusivement à passer son permis de conduire, à acquérir un véhicule, à poursuivre des études, à se loger ou à reprendre un commerce ou une entreprise. Bref, un capital alloué à nos jeunes sans différence selon leur lieu de vie mais un capital suffisamment important pour leur permettre de démarrer dans la vie où qu’ils habitent en ville ou à la campagne. Et d’ailleurs pourquoi ne pas assortir ce nouveau droit de contreparties ou de conditions spécifiques ? Nous devrions en débattre.

A Voinsles et sur le financement du permis de conduire, nous avons tenté d’apporter un début de réponse en offrant aux jeunes vincelais une aide financière de 200.00 euros pour passer le permis de conduire ; cette aide a le mérite d’exister mais elle est trop faible voir dérisoire en comparaison des besoins.

Quoiqu’on en pense, la voiture restera le moyen principal pour se déplacer dans nos campagnes. Il faut en avoir conscience et accompagner et corriger les défauts de ce mode de transport mais il est illusoire de penser que nous pourrions nous en passer. De ce point de vue le bon entretien des routes nationales est indispensable car c’est aussi un moyen pour l’Etat de démontrer qu’il n’abandonne pas ses territoires ; les aires de co-voiturage  sont une heureuse initiative ; lorsqu’en plus elles se situent dans un lieu où s’arrêtent des lignes de bus régulières et le seine et marne express en particulier alors cela fonctionne très bien. Je rêve de solutions de transports alternatives et multimodales tels que les véhicules partagés au sein de notre communauté de commune ; mais le modèle économique de l’auto partagée ne semble pas encore au point.

Pour lutter contre l’isolement et le sentiment d’abandon qui l’accompagne il y a d’autres moyens :

. La municipalité doit organiser et créer des événements à l’occasion desquels les habitants pourront se rencontrer, discuter, échanger, s’apprécier et finalement créer de la solidarité.

. Favoriser la création des associations et soutenir leurs actions est également indispensable. Je loue chaque jour la Caisse d’Allocations Familiales qui depuis quelques années verse des subventions pour permettre à des associations rurales d’employer animateur social. C’est ce que nous avons fait à Voinsles. Nous avons créé une association qui a le statut d’Etablissement de vie sociale et qui emploie un animateur à plein temps. La charge salariale est de 28 000.00 euros et nous percevons de la CAF une aide de 18 000.00 euros. Notre animateur, Kevin organise un accueil en fin de journée et pendant les vacances scolaires ainsi que des événements festifs tout au long de l’année à l’attention des jeunes, des ados mais aussi de nos ainés.  Je dois dire que depuis que Kevin est là le taux de présence des jeunes le soir dans nos abris bus a baissé d’une façon spectaculaire ! Oui chez nous, les abris bus sont les lieux de rencontre de nos jeunes.

. Le déploiement de la fibre et l’accès à l’internet à haut débit pour tous peut aussi contribuer à rompre cet isolement mais cela dépendra aussi de la qualité des informations et des outils qui seront mis en ligne. Elle va contribuer aussi à booster l’économie de nos campagnes en favorisant le télétravail dans les entreprises. Des salariés qui resteront travailler chez eux cela peut favoriser l’essor de commerces de proximité dans les villages. Elle rend également accessible depuis chez soit beaucoup de démarches administratives.

Outre, la situation que nous réservons à nos jeunes, le coût des transports, l’absence de commerce ou l’éloignement des services publics, d’autres sujets mériteraient d’être évoqués ici comme la désertification médicale ou l’insécurité dans les villages et j’en oublie sans doute d’autres comme la situation de nos ainés dans nos villages. Mais le temps qui m’est imparti est légitimement limité. Tous ces sujets contribuent à nourrir le sentiment d’abandon de nos populations. Et les voilà désormais sacrifiés sur l’autel de la nécessaire transition énergétique pendant que les plus riches sont exonérés d’impôts sur la fortune ou bénéficient de baisses d’impôts scandaleusement injustes !

Voilà Cher Jean Pierre, j’ai tenté de dresser un tableau le plus objectif possible de la situation que nous vivons aux portes du Grand Paris ; Grand Paris que nous contribuons à financer d’ailleurs sans bénéficier vraiment de ses effets directs ! J’espère que cela vous aura intéressé ; que cela contribuera à notre réflexion collective et je vous remercie sincèrement de votre attention."